Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu'il péchera contre moi ? Sera-ce jusqu'à sept fois ? En elle-même, venant du Juif pieux qu'est Simon Pierre, cette question est un événement car pour la première fois, sans doute, de sa vie ce Juif pieux s'évade de la loi. C'est un effort colossal qu'il accomplit en envisageant de pardonner jusqu'à sept fois, surtout si l'on garde présente à l'esprit la signification symbolique attachée habituellement à ce nombre qu'on appelle celui de la perfection. Nul doute qu'en cet instant Pierre a conscience qu'il fait quelque chose de bien et qui rencontrera l'approbation du Seigneur. Et combien, ô combien, je me reconnais en lui ! Qui n'a éprouvé cela, depuis le brave éclaireur qui vient d'accomplir sa première « B.A. » jusqu'au plus haut magistrat du pays qui va faire bénéficier un condamné à mort de la grâce présidentielle, en passant par le bon chrétien du renouveau qui accepte de ne pas porter plainte contre un frère au risque de subir un grave dommage, pour rester fidèle aux recommandations de Paul aux Corinthiens ?
Dans la symbolique des nombres on admet que dix représente ce qui est au-delà du chiffrable, — c'est, pour ainsi dire, quelque chose qui débouche sur l'infini. On trouve cela très souvent dans la bible, par exemple dans ce verset de l'Apocalypse où sont associés les nombres 7 et 10 : « ... un dragon ayant sept têtes et dix cornes », dans les dix commandements de Moïse qui couvrent la totalité de la sainteté, dans la parabole des dix vierges ou dans celle des dix drachmes. Dans sa réponse à Pierre, Jésus multiplie le nombre de la perfection par le nombre de l'infini. Autrement dit, — Non, Pierre ... Tu es loin de compte ! Sept fois, dis-tu, rendront ton pardon parfait et feront plaisir à ton Dieu ? Tu n'y es pas ! Le vrai pardon, le seul, c'est celui qui ne connaît aucune limite.
Pierre ignore encore ce qu'est l'amour de Dieu. Il connaît c'est certain, les attachements du cœur humain, la fidélité, l'esprit de service, les élans de notre sentimentalité charnelle, mais il est encore fermé à l'amour, ou plutôt à la démesure de l'amour de Dieu. Et qui ne le comprendrait parmi nous, nous plus spécialement qui sommes de langue française, nés de la civilisation romaine, façonnés par le droit romain, tous plus juristes les uns que les autres, toujours prompts à défendre nos droits, à nous justifier, à nous plaindre, quand ce n'est pas à nous apitoyer sur nous-mêmes !
Pierre ne répond pas. Le choc, sans doute, a été rude, d'autant plus que Jésus ne l'a pas tenu quitte, il a insisté afin de l'entraîner plus loin. Poussant à fond son enseignement, il a essayé de lui en révéler la réalité en esprit, en le transposant au plan des rapports de Dieu avec l'homme, et en l'illustrant par la parabole du serviteur impitoyable.
Comprendras-tu enfin, Pierre, que Jésus ne nous propose pas une morale, qu'il n'a que faire de nos règles, de nos lois, de nos tribunaux et de nos comptes ? Comprendras-tu que Dieu n'est pas un juge présidant une Cour, ni un comptable penché sur des livres, compulsant des listes de péchés ? ... Vas-tu un jour ouvrir les yeux sur une autre lumière, et ton cœur aux saintes exigences de l'amour ?
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