Frank haussa de nouveau les épaules et me sourit en se levant de table pour nous quitter.
Bon, dit-il, il faut que je m’en aille. Merci pour le déjeuner, ajouta-t-il en se tournant vers Elberta. Et, euh !... essayez de le persuader de venir voir ces gens.
La porte se referma sur notre visiteur. Je restai un moment silencieux, puis dis à Elberta :
C’est une histoire de fous. Cela ne ressemble pas du tout à Frank de s’intéresser à une telle affaire !
Qu’y a-t-il de grave dans tout cela ?
Je regardai ma femme avec quelque inquiétude :
De grave ? Il s’agit manifestement d’une émotivité exagérée, dis-je avec une pointe d’agacement.
Mais il a bien précisé qu’ils n’étaient pas exaltés, n’est-ce pas ? poursuivit Elberta.
Ouais, mais tout de même, ma chère ! « Parler en langues » ! Est-ce que ce n’est pas de l’exaltation ?
La situation de Frank me permit d’apprécier les avantages de la mienne. Au moins, dans notre paroisse, il n’y avait pas d’exaltation. Nous étions épiscopaliens, et fiers de notre attitude froide et même un peu ironique à l’égard de notre foi. Je n’avais nulle envie d’être impliqué dans quelque affaire saugrenue ou irrationnelle et, de toute façon, je n’en avais pas le temps. Dieu merci, dans ma paroisse de St Marc, dans le faubourg de Los Angeles appelé Van Nuys, il n’y avait pas de zélotes planant dans les sphères célestes. Il y avait juste 2.600 bons épiscopaliens !
L’énigme des paroissiens « en feu » ne fut cependant pas enterrée pour autant. Frank ne me laissa pas en paix et, après un bon mois de harcèlement bien intentionné de sa part, je me dis qu’il valait mieux aller voir de quoi il s’agissait. L’insistance de Frank avait éveillé ma curiosité, car je respectais ses jugements. De plus, je commençais à me sentir un peu lâche !
Quoi qu’il en soit, je me retrouvai un beau jour au volant de ma voiture, en compagnie d’Elberta, pour aller voir ces gens mystérieux. C’était une belle soirée d’août, mais je ne l’appréciais nullement, car j’étais mal à l’aise. Dans quel guêpier allions-nous nous fourrer ? Je m’attendais à une scène pénible et embarrassante, et je souhaitais que tout cela fût déjà passé.
J’étais encore dans ces dispositions lorsque nous montâmes à pied l’allée menant à la maison, un petit bungalow typique de banlieue californienne.
Frank était là et fit les présentations. Alors que nous nous installions au salon, j’observais ces gens. Quand allaient-ils se manifester ? Puis au cours de la conversation, je me détendis un peu, car nos nouvelles connaissances semblaient tout à fait « normales » et même sympathiques.
Tous deux étaient dans la trentaine : lui, un homme jeune, calme et direct, et elle, ce qu’un magazine féminin aurait appelé une jeune femme séduisante; ses cheveux et ses yeux bruns contrastaient agréablement avec les cheveux blonds de son mari. On ne pouvait se méprendre sur le bonheur et l’assurance qui émanaient d’eux. Je commençais à comprendre pourquoi Frank était si intrigué.
Nous échangeâmes les civilités et banalités d’usage puis, incapable de contenir plus longtemps ma curiosité grandissante, je me lançai :
De quoi s’agit-il exactement ? Que vous est-il donc arrivé ?
Sans aucune hésitation, ils répondirent :
Eh bien ! nous avons été baptisés dans le Saint Esprit.
Nous sommes allés à une réunion de prière dans le quartier, expliqua Joan — son visage s’éclaira encore davantage à l’évocation de ce souvenir — et cela nous a beaucoup plu. (Impossible ! m’exclamai-je intérieurement, prendre plaisir à une réunion de prière ? Quelle blague !) Mais ce qui nous a le plus impressionnés, continua-t-elle, c’est ce gars nommé Bud. Il avait l’air si heureux et si sûr de Dieu qu’il nous a donné l’envie de connaître ce qu’il avait. Je ne vois pas comment m’expliquer autrement. Et John a ressenti la même chose.
Elle se tourna vers son mari qui poursuivit le récit :
Oui, c’est bien cela.
Alors, nous lui avons demandé : « Que vous est-il arrivé ? » et il a simplement répondu :
« Oh ! j’ai été baptisé dans le Saint Esprit. »
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