Prenons Jésus comme modèle. Oui, Jésus a été seul. Mais je lis dans l’Evangile qu’il prenait lui-même l’initiative de la solitude, afin de se ressourcer dans le recueillement. C’est très fréquent dans l’Évangile de Luc : Jésus montait sur la montagne pour prier, au petit matin ou en soirée après une longue journée de travail. Je pense que c’était pour lui un besoin de se retrouver avec son Père et d’être tout à nouveau baptisé de son amour : Jésus devait répondre à tant de demandes et il accomplissait tellement de miracles qu’il ne voulait pas sombrer dans l’activisme ou la suffisance.
Quand il monte sur la montagne, Jésus suit une ancienne tradition : dans la Bible hébraïque, l’Ancien Testament, on voit Moïse monter sur la montagne, recevoir la vision et les instructions de Dieu et redescendre avec les Tables de la Loi et les plans pour construire une nation. Monter sur la montagne nous aide à retrouver le sens de notre vocation et la solitude est pour cela un ingrédient nécessaire. Mais quand Dieu nous donne une vocation, cette vocation doit nous amener ensuite vers les autres.
Jésus a aussi été seul dans le désert, avant de commencer sa carrière de prédicateur. Il y a passé quarante jours, sans manger, pour être éprouvé par Satan en personne. Dans ce cas précis, la solitude était utile à un test de caractère pour voir s’il serait à la hauteur de la tâche que Dieu lui confiait. Et Jésus a réussi ce test.
Dans la vie de Jésus, je vois donc un bel équilibre entre l’action et la solitude choisie. Comme je lis et reçois l’Évangile, la religion de Jésus n’a jamais été une excuse pour se retirer durablement. Quelquefois, nos règles religieuses (alimentaires, vestimentaires, morales ou autres) font plus que nous démarquer : elles nous isolent des autres. Or la volonté de Dieu n’a jamais été que ses enfants se retirent du monde, mais qu’ils fassent partie de la communauté humaine en étant pour elle une bénédiction. Jésus a prié dans ce sens, peu avant sa Passion en disant : «Père, je ne te demande pas de retirer mes disciples du monde, mais de les préserver du mal» (Évangile de Jean 17,15).
Jésus a aussi subi la solitude, une solitude extrême, lors de sa Passion. C’est dire qu’il peut comprendre et rejoindre même celui qui se sent si loin du reste de l’humanité que jamais personne, pense-t-il, ne pourra le comprendre, ni le rejoindre. Lorsque les autorités juives de son temps l’ont arrêté, de nuit, dans un jardin, tous ses amis ont abandonné Jésus. Le premier de ses disciples, Pierre, a même juré qu’il ne le connaissait pas, de peur d’être arrêté et jugé avec lui. Finalement, cloué sur une croix, Jésus a été abandonné par Dieu en personne, son propre père. Il meurt en criant :
- Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
Ce cri demande explication. Jésus a connu la solitude la plus profonde, l’abandon suprême. C’était afin que ce mur de solitude dans nos vies puisse être cassé. Jésus accomplit ici la promesse de Dieu faite des siècles plus tôt :
Le mouton perdu, j'irai le chercher celui qui s'est éloigné, je le ramènerai. (Ezéchiel 34,16)
DE LA SOLITUDE AU REPLI SUR SOI
La solitude peut être imposée par les autres ou par les circonstances. Comme pour d’autres problèmes, nous avons parfois de la peine à reconnaître que nous souffrons de rejet et de solitude. La solitude, qui fait suite au rejet, peut nous amener à d’autres problèmes dont la source est intérieure : isolement, repli sur soi, sentiment d’être inutile, idées noires et dépression. Le repli sur soi guette particulièrement certains caractères, plus introvertis, sensibles, voire plus originaux que les autres.
Plusieurs raisons peuvent nous avoir poussés sur le chemin du repli sur soi : déceptions, différence, rejet, peur, honte et souffrance. Telles sont ses racines. Ce repli produit aussi - pour un temps - un sentiment de liberté, l’illusion d’être son propre maître, de n’avoir de compte à rendre à personne ; l’orgueil n’est pas loin. On évite ainsi les blessures relationnelles, la déception et les conflits. Mais ce faisant, quand notre vie tourne autour de nous-mêmes et rien d’autre, nous nous privons de toute la richesse des relations ; nous nous privons de l’amour. Or l’amour est le plus puissant moteur de restauration et d’épanouissement de notre personne.
Au début, ce repli a sans doute été choisi, au moins partiellement. Mais petit à petit, on a perdu le contrôle ; il est devenu subi. Avec le temps, on s’est trouvé pris au piège. La durée aggrave le repli. La séparation entre les Corées est en place depuis si longtemps que beaucoup l’oublient ; le mur fait partie du paysage. De même, quand on a vécu trop longtemps avec le repli, on a l’impression de ne plus savoir comment en sortir, c’est-à-dire comment se reconnecter avec les autres.
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